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PROFONDEURS D'ADRIANNA BONOMI

 

par Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

Il y a dans les paysages, les personnages et les objets d'Adrianna Bonomi le dessus et le dessous, le dedans et le dehors. Est-ce là l'effet d'infusion tellurique de la terre bretonne sur l'artiste ? Toujours est-il que se produit une oscillation du regard. Il se met à braconner autant du côté de l'inconscient que de l'invisible - ce qui est un peu la même chose... Dolmens et forêts de Brocéliande ou d'ailleurs tout comme la clé des songes prennent d'étranges allures et des proportions imprévisibles. Ce qui est lourd ou fait masse s'envole. Ce qui est léger et innocent s'affaisse sous le joug d'un secret coloré. Jouant sur intérieur et extérieur l'artiste fait surgir un monde aussi rupestre que symbolique mais d'un symbolisme particulier. Comme chez un Miro, celui-là ne renvoie qu'à lui-même.

 

Le temps est suspendu dans un monde complexe. La peinture n’est jamais prisonnière de l’anecdote, du moment précis. Elle est dans l’entre-deux pelliculaire qui sépare les temps pour en montrer les strates. Pour Adrianna Bonomi l'art joue le rôle de passeur, d’intermédiaire. C’est la pellicule ou plutôt la peau de lait qui sépare deux choses de même nature : un temps qui a eu lieu, un autre qui attend son sort. L’un presque disparu, l’autre à venir. Dans le présent la peinture témoigne de ce passage. Existe donc un mixage dans l’espace. La création offre donc deux rives, deux impressions visuelles, deux réalités (ou plusieurs) de la même image. Et soudain surgit une étrange douceur. Elle envahit tout : le semblable, le cru et le différent. Cette douceur n'a rien de sentimentale. Elle répudie le tranchant des visées et altère ce qui n'est qu’artifice. Elle semble enveloppante, naturelle, permanente. On ne peut ni s’en raisonner ni s’en imprégner. C'est une douceur bizarre presque extravagante sous un ciel ou un fond de talc.

 

Parfois nocturnes et presque ténébreuse, plutôt minimaliste en ses figures l'œuvre est saisissante. Adrianna Bonomi mène là un réel travail de recherche sur l'image et son rapport au réel comme à ses symboles. L'artiste joue avec la représentation de manière magistrale comme elle joue avec l’espace frontière que constitue l'apparence en tant que plage et frontière. Elle crée un monde de sensations mystérieuses et rocailleuses et projette une vision qui ouvre une sorte de lien et d’écart. Chaque toile crée d’étranges souffles. Ils suggèrent une obsession, une hantise dont le créateur veut non se libérer mais montrer les possibilités de variations infinies au sein d'un univers pictural à la fois dépeuplé et recomposé. Il ramène à un lieu aussi premier, primitif, simple que sophistiqué et lumineux.

 

Avec Adrianna Bonomi la peinture semble se dérober mais résiste pourtant de manière essentielle. Feintes d'incantation, détours deviennent des opérations conjointes de son approche du monde. Nous accédons à une image au statut particulier. Elle est transformée en symbole et le symbole est transformé en vision. Dans ce vertige mutuel se crée une sorte de trauma perceptif. Mais un trauma paradoxalement apaisant. L’atteindre ne revient pas à trouver ce qu'on attend car cet espace ne rameute pas du pareil, du même. Et si la peinture semble ouvrir à un effet de miroir : ce miroir est un piège : la vue devient veuve de ce qu’elle espérait attendre. Que demander de mieux à la peinture ?

 

Jean-Pierre Gavard-Perret

Maître de conference

à l'Université de Savoie

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